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XIX

Un concert inopiné démarre au coin de la rue : les gens s’affolent, l’effervescence du moment gagne les âmes – le cœur de chacun bouillonne et résonne au gré des notes, du tambour et des chants. Vive, intense est l’émotion qui vous gagne. Les palpitations ne sont guères que l’expression formelle des sensations qui vous traversent. Votre voisin, dont l’analogie sentimentale parait évidente, vous lance un sourire. Le cadre est somptueux. C’est un moment unique, vivant et beau. Un instant qui ne dure ni ne trompe, une perche que vous devez saisir à tout prix : immédiatement et pleinement.

Et pourtant, vous dégainez un smartphone. Vous filmez. Certes, votre regard ne se fige pas contre le petit écran, qui s’est déjà interposé entre la scène et vous. Mais, vous conservez l’objet en main, en quête de souvenir, d’une envie de montrer ou sans même savoir la raison. Envoûtant, il s’agrandit. Votre esprit n’est plus totalement immergé par l’osmose de l’évènement. Le mouvement des corps vous parait plus lointain, mais vous ne réalisez pas que le moment ne vous appartient déjà plus. Vous vivez, mais seulement à demi-mot. Les internautes vous ont volé ce qui parait être une danse éphémère. Les applaudissements s’élèvent ; vous tapez des mains à votre tour. Le vibreur scintillant booste votre dopamine, et vos muscles se tordent sous l’effet du sourire, à nouveau. Vous n’avez toujours pas conscience que vous avez égaré votre âme.

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