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Le lion noir

En 2021, il m’a été offert un petit lion. Initialement, ses pattes étaient propres Voici son histoire, qui l’a fait devenir unique.

Le lion noir

                Dix heures du matin. Les lumières artificielles m’éblouissent depuis quelques minutes déjà. La vendeuse lève le voile sur le motif de toute cette agitation. Pas de quoi faire bondir mon cœur de sa cage. Crissements sur le parquet, mouvements de bras, crissements plus aigus. Le rideau de fer se lève, et le soleil trouve son chemin. Le bain de chaleur imposé me détend les muscles, chauffe mes oreilles, invite à une méditation profonde. Une heure durant, il n’y aura pas de client. Les journées commencent toujours dans un calme qui fait penser à celui de la nuit, bien que l’astre se cache de l’autre côté.

                Par la fenêtre, en contrejour, j’aperçois le Big Thunder Mountain. L’attraction est déjà ouverte. La file immense, s’étend jusqu’au château de la Belle. Oh, qu’est-ce qu’elle est belle. Pour avoir étudié le comportement humain, je remarque qu’ils aiment beaucoup attendre. C’est surprenant, quand on sait à quelle vitesse vivent-ils. La lumière du jour se reflète sur la montagne, et mon poil est désormais comparable à une épine de sapin aux proies des flammes. La chaleur s’immisce dans chacune de mes cavités. Le temps s’écoule, notre étoile poursuit sa danse.

                Mes dernières minutes de sérénité s’achèvent, alors que de premières familles, couples de jolis cygnes, et souris en tous genres passent le pas de la porte. Ding, Dring, Dong, Dring. Il m’est difficile de saisir la note exacte jouée par la porte à chaque mouvement. Je la soupçonne d’en changer à chaque fois. Les gamins se bousculent, jusqu’au moment où je décolle de mon étalage. Vers l’infini, et au-delà, je suis secoué comme un prunier. En long, en large, et en travers, j’aperçois brièvement la jeune âme qui s’intéresse à moi. Les yeux écarquillées, il crie mon nom, « Simba ! Simba ! », puis me repose frénétiquement. Le choc est violent, le bois de l’étagère me gratte la plante des pattes, ma colonne vertébrale supplie. Je suis désormais dos à la fenêtre. Alors, moi aussi, je supplie. Comme chaque objet dérivé, je suis souvent sujet à changement de place. Un frisson me parcourt le dos. La vue heureuse sur mon reflet est insupportable. Face à moi, Simba. Et derrière Simba, Simba. La chaleur matinale n’est plus qu’un vague souvenir, et mon corps se retrouve balancé vers l’autre extrême. Il a le même nez que moi. Il partage la profondeur de mon regard, et sa queue est aussi grossière que celle que je traine. Sur le tapis roulant, tous avons été l’objet des mêmes manipulations. Nos géniteurs, grosses pinces et sacré pressoirs, n’ont eu pour nous aucun égard, ni tendresse. L’âme en peine, nous avons quitté l’entrepôt orphelins.  

                Louée soit la vieille hippie, ma mère, avec son gros sac en toile de jute. Le sol se met à vibrer. Oh, tremblement de terre ! Ni une, ni deux, la chute, deux mètres durant, est vertigineuse. Le souffle coupé, je reste ici là vingt bonnes minutes – je pense – jusqu’au retour de la vendeuse. Ma patte est cassée. La poussière, reine mère des bas étages, a eu raison de moi. Les pattes sales, les joues et le museau ensevelis, l’air soufflé par la femme me fait l’effet d’une tempête. Rien à y faire, je suis cassé. Je retrouve ma place initiale, mais je ne suis plus le même. Merci, maman.  

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