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Récit de voyage : Prague

Prague, 14 décembre 2022

Ma chère maman,

Ce 11 décembre, je suis bien arrivé à Prague. J’ai apprécié ma première balade en tramway. Il faisait nuit, et je savais par habitude que le transfert aéroport-centre ville s’avérait être parfois un véritable challenge. En définitive, le voyage s’est déroulé sans encombre, bien plus simple qu’à Paris. Grâce à l’aide d’un local, je suis parvenu à l’auberge, couronnes tchèques en poche. J’avais déjà un tableau dans la tête. Il était temps que mon baccalauréat scientifique se rende profitable.

Ce soir-là, tard il était, je n’avais pas mangé, la fatigue et l’envie de propreté avaient pris le dessus sur la faim. Je me suis ainsi contenté de deux bananes parisiennes, dont le septième ciel n’avait pas altéré les saveurs. Toi qui as toujours voulu que je m’alimente suffisamment, tu m’aurais réprimandé à propos de ce dîner bien léger. Sois sans crainte, je me suis bien rattrapé par la suite. Sortant d’une douche régénératrice, j’ai fait la rencontre d’un voyageur singapourien. Pour ça, je remercie les auberges d’exister. L’humain passe au premier plan, et c’est exactement ce que je recherche.

Prague, depuis le haut de la cathédrale Saint-Guy, avec mon iPhone 11. J’espère que tu apprécieras ce cliché.

Après une bonne nuit récupératrice, Prague s’est réveillée, en ce 12 décembre, sous la neige. J’ai lu ton message avec attention, et il m’a beaucoup touché. Toi aussi, tu me manques, et j’aurais aimé te voir en cette journée bien particulière. Mais sache que je me sens bien, et que nous nous retrouverons mieux. J’ai fêté mes 22 ans dans un décor de rêve. En passant la porte du Czech Inn, je me souviens avoir rigolé de bonheur. Dehors, les gens semblaient considérer cette situation normale : il faut dire que les flocons s’emparent de la ville aux cent clochers entre trois et cinq mois annuels. J’étais tellement inspiré que c’est ce matin-là que j’ai fait mon plus beau dessin ; au Cafedu, qui devint véritable repère pour le restant du voyage. J’ai vraiment apprécié poser le crayon, prendre le thé et passer du temps dans ce café aux airs de Starbucks oriental. Les voyageurs y affluaient, discutaient, et travaillaient dans le respect. C’est ce type de lieu qui me donne envie m’attabler sur un livre, mon ordinateur ou mon carnet le matin et d’être productif.

Malgré l’envie de profiter des paysages blancs (qui se font si rares par chez nous), pénétrer le musée national qui me barrait fièrement la route fut une excellente décision. Savais-tu que l’anguille européenne est un poisson migrateur extraordinaire ? Comment poser un sceau sur une enveloppe ? Et que l’expression « tigre à dents de sabre » est erronée (prédateur à dents de sabre est la correcte) ? Je l’ai appris en arpentant les grands escaliers marbrés, le tapis rouge, sous l’œil des hommes illustres de la Tchéquie. Le Palais Garnier s’est trouvé concurrence. Si tu savais à quel point c’était beau.

Le musée dispose de collections très intéressantes, comme cette guitare peinte à la main, la collection de minéraux – mais aussi d’expositions techniques envoûtantes (à ce moment, je pense à une pièce noire, remplie de musique et de lumières s’allumant à son gré) (je pense aussi à cette chambre d’enfant reconstituée, diffusant un dessin animé daté, réalisant la complexité de sa réalisation). Le vestibule central sert de Panthéon, surmonté d’un dôme que l’on peut voir du dessus, au dernier étage, avec son panorama d’exception. De toutes les hauteurs de Prague, un monument domine toujours et encore : le château, et sa cathédrale Saint-Guy.

En ce lieu, j’ai senti les larmes monter. Habituellement, lorsque j’arrive dans une nouvelle destination, il y a toujours un moment – et souvent au début, où une baisse de morale passagère s’empare de mon humeur. Je l’ai baptisée blues du voyage. Mais cette fois, cela ne s’est pas manifesté. Tout était parfait, et je réalisais ma chance d’être ici en cet instant. Je sentais également ma sensibilité accrue pour l’art, les objets, les idées, les réalisations humaines et de la nature. Je redescendais, les yeux humides. A la sortie du musée, j’ai fait l’acquisition d’un petit cygne en cristal, sur un marché de Noël à fière allure. C’est un beau machin pour mon coffre à trésors.

Ce n’est pas le seul moment émotionnel que j’ai vécu à Prague. Au-delà des rencontres, laisse-moi te conter une soirée marquante de mon voyage. En décembre, la place de la Vieille-Ville prend l’apparence de véritable village de Noël. Chalets en bois, trdelníks (spécialité pragoise), forgerons ; j’écoutais un orchestre de gamins interpréter « Happy New Year » de mon groupe suédois préféré, quand on nous a invité à tourner la tête vers le grand sapin, épris de la foule aimante. Et là, c’était magique. Les enceintes se sont mises à gronder, et l’arbre de Noël s’est illuminé au fil de la musique, jusqu’à atteindre son apogée. J’ai pris une vidéo, mais elle n’est pas complète, tant j’ai apprécié ce moment présent. Très vite, la vie a repris, et s’est imposée encore l’odeur du vin chaud. En plus de détester cette boisson en l’intégralité de ses températures, j’ai eu l’impression de revivre la sangria de Madrid. Très vite, les flûtes se dédoublaient, et la soirée prit fin à une heure bien plus que tardive.

Te souviens-tu de ce livre d’apprentissage en anglais que je t’ai demandé pour Noël ? Je confirme qu’il ne me serait pas dénué d’intérêt. Si je considère mon niveau comme très bon, je remarque que côtoyer des anglophones en permanence, lors de mes déplacements, a révélé quelques barrières de la langue persistantes ; des moments cocasses  – et je pense que cela est dû à leur débit de parole, ainsi qu’un manque de vocabulaire de mon côté. Mais comme d’habitude, l’immersion fut un franc succès et les leçons nombreuses. Je sais que tu préfères m’entendre les raconter, mais quelques anecdotes insolites : les églises payantes (y compris pour prier, comme à Amsterdam), le tourisme de masse (et les pauvres chevaux fatigués), les cheminées qui réchauffent l’atmosphère, ma crise d’hypothermie (tu avais raison, je n’étais pas préparé pour affronter ce froid ardent), les mamies qui glissent sur le verglas, la gentillesse de cette femme dans l’église. La voix se perd, mais les mots sont vivants, disait Emmanuel Moire. Reçois ainsi cette correspondance comme une invitation à voyager.

Il reste tant d’anecdotes, de personnes atypiques dans ma mémoire. J’ai rarement été aussi abimé : lèvres éclatées, cheveux en bataille, teint de malade, restes d’un rasage bâclé plus qu’approximatif. Et pourtant, rien ne peut altérer l’ivresse de joie qui me parcourt depuis mon arrivée.

Maman, je prends l’avion demain, et j’ai hâte de te revoir.

Je t’embrasse bien fort,

Ton fils

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